Abydos, petit temple. [Mur avec reliefs] par Devéria
Théodule Devéria (1831-1871), employé au Cabinet des Estampes, épigraphiste puis conservateur-adjoint au musée du Louvre, égyptologue et photographe auprès de Mariette, reste relativement méconnu des amateurs et des historiens de la photographie en Égypte au 19e siècle.
Dès 1856 il se rapproche d’Auguste Mariette et l’assiste pour le classement et l’inventaire des objets provenant des campagnes de fouilles du Serapeum de Memphis. En 1859, il l’accompagne en Égypte et réalise de nombreux négatifs papier sur des chantiers de fouille situés entre Memphis et Karnak. En 1865, il retourne pour la troisième fois en Égypte aux côtés d’Henri Péreire, Alexandre Surell et Arthur Rhoné et réalise des prises de vue selon la technique du négatif sur verre au collodion sans que l’on sache s’il s’agit du procédé humide ou sec.
L’œuvre photographique de Devéria, de par les données qu’elle contient, a également toute sa place au sein de l’archéologie égyptienne actuelle. En témoignant d’un état de conservation du patrimoine égyptien à une période donnée, les images du photographe-égyptologue sont très précieuses dans le cas où les éléments photographiés ont aujourd’hui disparu, ou bien dont l’état s’est fortement dégradé depuis les années 1860. Peu d’études ont été réalisées dans ce cadre, en privilégiant l’analyse des images de Devéria pour confronter les informations s’y trouvant aux données du terrain ou des collections des musées d’art égyptien. Deux exemples sont toutefois révélateurs des bénéfices que l’égyptologie pourrait tirer de telles analyses.
Tout d’abord, le travail de recherche de Clémentine Durand sur les sculptures grecques du Sérapéum de Memphis permet de souligner l’importance historique des 26 négatifs papier que Devéria réalisa en 1859 afin de les reproduire. Cet ensemble de statues, qui avait été découvert par Mariette en 1851, avait été laissé in situ à l’exception de deux statues de sirènes, du fait de leur fragilité et de leur état de dégradation. Ré-ensablées, les statues furent redécouvertes en 1938, recouvertes avant la Seconde Guerre mondiale, puis ré-exhumées par Jean-Philippe Lauer en 1950. Elles se trouvent toujours sur le site du Sérapéum, protégées par un auvent mais dans un état de conservation bien inférieur à celui de 1859. L’auteur, en étudiant les photographies de Devéria et en les comparant aux dessins au trait réalisés par Mariette des mêmes statues, montre combien ces dessins s’éloignent de l’état réel des statues dans les années 1850 et comment le grand égyptologue a reproduit ces œuvres en les réinterprétant, à l’aide de son imagination et de ses propres connaissances historiques. Quant à la photographie d’une sirène réalisé par Devéria, il s’agit d’un témoignage rare d’une statue qui se trouvait encore sur son site de découverte au moment des prises de vue, reproduite avant sa restauration réalisée plus tard à l’occasion de son intégration dans les collections du musée du Caire.
Memphis. Sérapéum grec par Devéria.
Dans un contexte similaire, Nico Starring a récemment effectué une étude iconographique et technique de la tombe de Ptahmose, aujourd’hui partiellement détruite, à partir de deux photographies de Devéria réalisées en 1859. La première photographie, dont le tirage a été acquis en 2005 par le Metropolitan Museum of Art de New York, représente l’unique reproduction visuelle de cette partie de la tombe de Ptahmose (voir image ci-dessous). Malgré la redécouverte de la tombe par une mission archéologique sur le site de Saqqarah en 2010, les bas-reliefs et les inscriptions de la porte d’entrée présents sur la photographie de Devéria n’ont pas subsisté à l’épreuve du temps. Grâce aux informations fournies par cette image, Starring apporte de nouveaux éléments sur la vie de Ptahmose, grand prêtre de Ptah et membre important du clergé memphite. De la même manière, la seconde photographie représente un bas-relief situé à un autre endroit de la tombe de Ptahmose, qui lui aussi n’a pas été retrouvé par les archéologues en 2010. Ce bas-relief, dénommé « Mur Rhoné », fournit d’importantes informations sur le propriétaire de la tombe, puisqu’il le représente avec sa famille sur une barque en papyrus. La photographie de Devéria permet également à Starring de proposer une localisation du bas-relief au sein de la tombe dans son état actuel. Ainsi, malgré le caractère éphémère des vestiges égyptiens et des fragiles négatifs sur papier de Devéria, il reste encore possible d’exploiter de nombreuses données utiles à l’archéologie égyptienne à l’aide d’un système archaïque mais suffisant de reproduction photomécanique du 19e siècle.
Tombe de Ptahmose, Saqqara (Memphis), 1859
Les photographies de Théodule Devéria n’ont donc pas encore délivré tous leurs secrets. Cet homme discret, travailleur et certes un peu austère, a malgré tout réalisé une œuvre photographique d’importance et qui bénéficierait d’une étude approfondie à partir d’un inventaire complet des fonds conservés dans différentes collections patrimoniales en France et à l’étranger.
Source : Nicolas Le Guern pour L’Antiquité à la BnF, https://antiquitebnf.hypotheses.org/4611
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